Pourquoi avoir travaillé sur cette thématique et sur quels champs a porté votre expertise ?
Pr Marie-Ève Rougé-Bugat : En tant que médecin généraliste exerçant en cabinet libéral et pour partie à l’hôpital, je suis régulièrement confrontée aux problématiques liées au suivi des patients atteints de cancer. Il m’a semblé intéressant de creuser le rôle potentiellement facilitateur du numérique, d’autant que ce parcours peut être modélisateur pour d’autres pathologies chroniques. Je me suis plus particulièrement nourrie ici de mon expérience de terrain, qui me permet d’avoir une vision pragmatique sur la nature des échanges ville-hôpital et leur articulation avec les outils numériques.
Jérôme Béranger : Docteur en éthique du numérique, je m’intéresse pour ma partà la filière cancérologie depuis plus de dix ans, car elle représente à mon sens parfaitement la transversalité et la multidisciplinarité de notre système de santé.Le regard pratique du Pr Rougé-Bugat complète ainsi mes travaux, plus théoriques, sur les concepts, les risques et les impacts éthiques du digital notamment en santé. L’éthique, qui est par nature une pensée en mouvance, s’enrichit donc de cette alliance entre nos connaissances respectives.
Quel ont été vos constats le plus marquants ?
Jérôme Béranger : L’utilisation d’applications digitales dans la relation de soins fait évoluer le dualisme historique médecin-patient, qui laisse progressivement sa place à une triangulation médecin-patient-digital. Ces nouveaux rapports imposent de revisiter le droit et l’éthique de la santé autour de l’information médicale, de sa pertinence et de sa confidentialité, pour notamment préparer le terrain à l’arrivée des systèmes d’intelligence artificielle en santé.
Pr Marie-Ève Rougé-Bugat : Sur le plan pratique, ces travaux permettent à mon sens de mieux identifier les moments où le numérique peut être un atout ou un frein, en considérant ses apports potentiels pour les patients suivis en ville. Avec toutefois une nuance : la plupart des applications digitales existantes ne tiennent pas compte d’une utilisation par le médecin libéral, notamment sur le plan de la gestion des données. Les acteurs du premier recours doivent impérativement être mieux associés au processus de développement pour pouvoir ensuite intégrer ces outils à leurs pratiques.
Quelles seront les suites de ces travaux ?
Pr Marie-Ève Rougé-Bugat : Nous avons désormais pour projet d’écrire un livre autour de la place du médecin généraliste face à la numérisation de l’organisation des soins en cancérologie, afin d’offrir un regard croisé entre le médecin et l’éthicien. Par ailleurs, étant tous les deux en partie rattachés à l’Université Paul-Sabatier de Toulouse, nous pourrions co-construire un Diplôme Universitaire « Éthique et Numérique en Santé » pour les professionnels de santé … Il existe une vraie demande à ce niveau-là !
Jérôme Béranger : Nous sommes déjà en train de co-rédiger un article scientifique sur « L’évolution de la relation médecin généraliste-patient à l’heure de la médecine digitale : entre information et éthique », toujours à travers le prisme de la prise en charge du cancer, pour la revue de Science-Po Paris. Nos recherches respectives pourraient égalementaboutir à l’élaboration d’une Charte éthique ou d’un Code de déontologie sur les engagements que devrait souscrire le médecin généraliste face à la digitalisation de la prise en charge du cancer, puisque cette dynamique est appelée à se poursuivre.
Article publié dans le numéro de décembre d’Hospitalia à consulter ici.
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